[ciné] TIME
Le temps qui passe
Le temps tel l'eau qui s'écoule sur la roche, l'use, la polit, la sculpte. Le temps qui arrondit les angles et qui calme les blessures. Mais le temps qui passe ternit-il les sentiments ? C'est ce que craint See-hee qui n'en peut plus de craindre que son fiancé ne se lasse et la quitte un jour pour une autre femme. Plutôt que de laisser cette jalousie maladive la ronger encore, elle décide un jour de disparaître, puis de ré-apparaître six mois plus tard sous un visage différent. Le renouveau, le recommencement qu'elle souhaite - à l'image du film qui est finalement une boucle - ne lui apportera pas le réconfort espéré. Certes, elle parviendra à reconquérir l'homme qu'elle aime. Néanmoins, elle se perdra en chemin et ne parviendra plus à se retrouver. Il est inquiétant de constater combien sa névrose les conduira tous deux à une conclusion dramatique.
Si certains aspects plutôt répétitifs peuvent lui être reproché, si une réalisation parfois "premier jet" se fait sentir à travers le film, avec ses avantages et ses inconvénients, Kim Ki-duk confirme qu'il est surtout un maître de l'instant. Au détour d'un regard, d'un mot ou d'une image naît une émotion. Qu'elle soit douce ou brutale, Kim Ki-duk sait toucher le spectateur : la légereté et la poésie de certaines scènes font contraste à la dureté poignante d'autres séquences. Le réalisateur titille la sensibilité de celui-ci, autant par la contemplation (superbes passages dans le parc des sculptures) que par le choc, suggère plus qu'il ne montre ou décortique. Sa réalisation est sobre mais redoutablement efficace. A l'image de sa filmographie ressortent de ce nouveau film les thèmes de l'amour, de la jalousie, tout en symbolique. Il nous questionne sur l'identité, le temps, les sentiments, et son message ne se révèle pas particulièrement optimiste. A trop tirer sur la corde, celle-ci finit par se briser.
Il soulève également le débat quant au recours à la chirurgie esthétique à des fins personnelles. On le voit, le chirurgien tente de dissuader sa cliente en lui montrant les images d'une opération du visage. Et même si à côté de cette séquence Nip-Tuck apparaît comme de la plaisanterie, celle-ci ne changera plus d'avis et scellera son sort définitivement. Demandons-nous alors si cette pratique est bien nécessaire lorsqu'il n'y a ni traumatisme, ni accident, ni gêne esthétique. Remettons également en cause le suivi psychologique qui dans ce film est quasiment inexistant. Changer de visage conduira forcément à des changements d'attitudes et See-hee va adopter un comportement parfois proche de la psychose.
Contrairement à des films bien plus paisibles - bien que cruels - qui ont fait sa renommée ( de Locataires à Printemps, été, automne... en passant par Samaria ou l'Arc ), Time est un film où la violence est verbale et directe et les actes désespérés irréversibles. Les personnages parlent, rient, font l'amour, pleurent, hurlent, expriment ouvertement leur mal-être. Lorsqu'ils n'y parviennent plus, les regards sont d'autant plus signifiants. Notons les excellentes interprétations de Seong Hyeon-a et Jung-woo Ha, sincères, touchants puis carrément bouleversants. Le personnage de See-hee est particulièrement intéressant - et interprété par deux différentes actrices - et soulèvera la question du rapport de l'être à son image. Le fait de changer de visage influence t'il l'identité ? Kim Ki-duk expose son point de vue et ses acteurs sous sa caméra habile le mettent remarquablement bien en valeur. Enfin, le dénouement en intriguera plus d'un et vous permettra de débattre à la sortie du film de sa signification.
Plutôt inégal, ce treizième
film de Kim Ki-duk confirme que son auteur est un créateur de
sensations et un cinéaste suggestif de talent. S'il n'est pas exempt de tout reproche, il évite tout regard mélodramatique ou mièvre et rend son oeuvre personnelle, se détache de sa pudeur habituelle et chacun ressort de la séance le coeur serré.
AVEC SEONG HYEON-A, JUNG-WOO HA, JI-YEON PARK
UN FILM DE KIM KI-DUK DRAME - 1h36 - 2007
Filmos
Kim Ki-duk ( Printemps, été, automne, hiver et printemps ; Locataires ; L'Arc ; Samaria ... )
Anecdote
Les spectateurs les plus attentifs remarqueront un petit clin d'oeil de la part du réalisateur. En effet, son personnage principal masculin, Ji-woo, semble être monteur et celui-ci travaille à de nombreuses reprises sur des séquences du film Locataires, un des chefs d'oeuvre de Kim Ki-duk.
Prochaine critique
7h58 ce samedi-là de Sidney Lumet