[exclu] TOWELHEAD (nothing is private)
TOWELHEAD (nothing is private) RÉALISE PAR ALAN BALL - AVEC SUMMER BISHIL, TONI COLETTE, AARON ECKHART, MARIA BELLO, PETER MacDISSI DRAME, SATYRE - 2h04 - Jasira, 13 ans, emménage chez son père libanais, renvoyée par sa mère qui supporte mal qu'elle plaise un peu trop à son petit ami. Jasira produit un effet certain sur les hommes ; en particulier sur son nouveau voisin, M. Vuoso, un 'patriote' de l'âge de son père qui laisse négligemment des magazines Playboy sur la table basse du salon... Et cela ne s'arrange pas quand elle doit essuyer les remarques désobligeantes que suscite sa peau mate. Embarrassée par un corps dont les réactions lui échappent, trop bridée par son père, agressée par son entourage, Jasira est perdue... Tout le monde cherche à la manipuler, sauf Melina, une voisine qui la prend sous son aile. -
« L’intelligence c’est d’être capable d’avoir deux avis divergents en même temps ». Voilà une remarque que fait le père de Jasira à sa fille, dans un contexte assez comique du film. Voilà une remarque qui tombe bien, puisque Towelhead suscite chez moi différentes réactions. D'un certain point de vue, on peut être perturbé par le résultat final de ce premier film. Je le mettrais sur le compte des quarante-cinq premières minutes, lors desquelles il est difficile de percevoir le véritable ton du film : provoc', humour noir, caricature ? Les traits des personnages apparaissent grossièrement tirés et l'on se demande parfois si Alan Ball se joue des stéréotypes ou s'il a un peu bâclé le début du bouquin au moment de l'adapter. On est donc surpris par le manque de subtilité – autant de jeu que d'écriture – de certaines scènes du premier tiers du film. On se demande alors si l'on n'est pas devant un énième film indépendant calibré sundance (mélangeant provoc' et bonnes intentions) plutôt que le premier film d'un scénariste oscarisé et réalisateur emmy-awardisé.
Alan Ball, comme un bon moteur diesel qui se jouerait des stéréotypes ?
À l'image de la nouvelle série dont il tient les rênes, True Blood, (après le pilote, on pouvait rester sceptique face à ce panorama de personnages clichés au départ, mais la suite nous a grandement rassuré au point de nous offrir quelques passages jouissifs), ou à moindre mesure de Six Feet Under qui a eu besoin d'une bonne saison et demie pour prendre toute son envergure – et sa splendeur – on peut s'interroger sur le fait que l'auteur-réalisateur semble avoir besoin d'un certain temps avant de faire réellement parler son art.
Car en effet, et heureusement, la suite est d'un tout autre niveau et bien plus à la hauteur de la réputation de Alan Ball. On sent beaucoup plus de finesse dans l'écriture, d'ambiguïté et d'ambivalence chez les personnages, ainsi que ce rythme et cette ambiance, si familière et prenante, que l'on reconnaît enfin la patte de celui qui nous a accompagné lors de cinq années de Six Feet Under. Il serait d'ailleurs utile de signaler que, si on le savait déjà doté d'une plume exceptionnelle, il se révèle être un remarquable réalisateur, tant au niveau des choix de mise en scène, que des cadrages et des mouvements de caméras mais aussi de la gestion du rythme. Ajoutons également que la superbe photographie de Newton Thomas Sigel vient combler le plaisir visuel du spectateur ou encore la musique composée par le fidèle Thomas Newman qui ajoute un certain piment à quelques scènes cruciales.
Jasira, naïve et innocente victime ou nymphomane en devenir ?
Perdue entre une éducation aux préceptes stricts et des désirs de plus en plus envahissants, Jasira envoie des signaux sexuels aussi bien à son camarade de classe black qu’à son voisin Mr Vuoso. Derrière la naïveté évidente de la jeune fille, on ne peut s'empêcher de la percevoir aussi comme une Lolita des temps modernes. Elle ne contrôle pas ses pulsions et ne semble pas vraiment savoir ce qu'elle veut véritablement. Baignant dans un univers hostile, strict ou narcissique où, considérée comme une rivale par sa blonde et futile mère (campée par la cruche Maria Bello, du coup, parfaite pour le rôle), et comme un obstacle par son père, elle ne trouve pas de place pour s'épanouir et découvrir la jeune femme qu'elle est en train de devenir. Elle fait finalement le choix douteux et dérangeant d'attirer l'attention des hommes, de son âge ou pas, en usant de sa sensualité naissante - parfois à outrance - mais cela va se révéler inquiétant et parfois assez insoutenable, tant pour elle que pour le spectateur.
Towelhead perturbe car de par son traitement, il semble « refuser d’émettre un quelconque jugement de valeur vis-à-vis des différents choix et actions des personnages. La morale voudrait que Jasira soit présentée comme l’enfant tristement victime » et Monsieur Vuoso comme le traitre inhumain qui profite d'une enfant, ce n'est pas le cas. Chaque personnage a ses défauts et ses failles – souvent révoltantes – et le film évite le schéma commun du manichéisme hollywoodien. Chaque spectateur devra juger ce qu'il voit et en penser ce qu'il souhaite.
Enfin,
saluons la prestation irréprochable des acteurs, à commencer par la jeune Summer
Bishil qui tient bien le film du haut de ses dix-huit ans, secondée
par l'excellent Peter MacDissi - les fans de Six
Feet Under le reconnaîtront, ou pas -
et le solide Aaron Eckhart. Toni Colette, plus discrète et toute mignonne avec son ventre rond, est impeccable en voisine attentionnée (bien qu'un peu intrusive) et protectrice.
Subversif, oppressant, émouvant, transgressif, soigné, Towelhead ou Nothing is private – c'est comme vous préfèrerez – est un film riche, peu commun et dérangeant. Mais lorsqu'on aime un artiste, on est souvent exigeant et l'on attend toujours plus de sa part. Connaissant le potentiel de Alan Ball, on espère voir un film plus abouti dans les années à venir et plus personnel – non pas que celui-ci ne l'est point, puisqu'on reconnaîtra aisément ses thématiques favorites - en espérant qu'il se débarrasse d'ici là de ses petits ratés au démarrage et qu'il continue à dépeindre l'Amérique et à se jouer de ses déviances comme il le fait parfois si bien.
Le premier long métrage de Alan Ball repose sur l'ambiguïté des gestes, des regards, des désirs et des bonnes intentions. Confirmation après la série Six Feet Under du talent inouï d'un artiste très précieux. - DVDrama
Le titre, Towelhead, a fait l'objet de nombreux débats et n'a pas facilité la création et le parcours commercial du film.
Le film ne parle pas que de racisme, c'est évident. Le racisme n'est qu'un thème mineur. Il parle surtout d'un autre problème social, à savoir l'évolution sexuelle, ou la redécouverte sexuelle d'une jeune adolescente dans la société américaine, avec toute la pression que ça comporte, à l'école et dans la société, et comment l'évolution se passe. Alors pourquoi avoir conservé Towelhead (tête à turban) plutôt que Nothing is Private - qui pour une fois était une bonne suggestion - en prenant le risque de "normaliser" ou dédramatiser une expression véritablement dégradante. C'était la réserve avancée par le Council on American-Islamic Relations.
Pour Alan Ball, qui en tant qu'homosexuel assumé a souffert d'appellations injurieuses à maintes reprises, "interdire l'utilisation de termes de ce genre revient presque à imprégner ces mots de plus de pouvoir qu'ils ne devraient en avoir ». Il craint que ça n'aide aussi à « maintenir l'illusion que les côtés négatifs, la haine et les idées arriérées derrière l'utilisation de ces mots n'existent plus ». Ce qui est malheureusement faux, reconnaissons-le. « Je vais devoir faire face à des gens qui pensent de cette façon. Nous vivons dans un monde où l'on n'est pas toujours jugé comme un individu, mais d'après son appartenance ou son apparence. Et cela m'a rendu plus fort, je pense » . Voilà la raison qui l'a poussé à défendre le titre Towelhead, non pas car il traite le sujet principal du film, mais qu'après tout, il parle d'un individu dont la particularité est d'être une "arab-american".
Bien sûr, il y a le problème de l'intégration et de l'identité, dont souffre la jeune Jasira et même le père, qui se situe "entre deux chaises" se sentant à la fois américain et libanais. Le personnage du père est d'ailleurs assez intéressant car paradoxal, ayant lui-même une aversion assez flagrante contre les personnes de couleur noire, jugeant que les fréquenter peut amener une image négative pour lui et sa fille. C'est donc par l'ironie que Alan Ball dépeint ce père de famille fier d'être un américain intégré ayant réussi professionnellement - il va jusqu'à élever un drapeau US devant sa maison comme pour s'auto-convaincre qu'il est un bon patriote - et pourtant très fier de ses racines et de sa culture musulmane, à cheval sur les doctrines liant au corps féminin et pourtant prêt à épouser une femme à tendance esthéticienne qui exhibe son décolleté et son démonstrativité à tout va.